Territoire bas carbone, une opportunité pour le tissu économique

Un territoire bas-carbone consomme le moins possible d’énergies fossiles et émet peu de gaz à effet de serre, en agissant notamment au niveau des transports, de l’urbanisme, de l’habitat et des énergies.

Le label bas-carbone

Afin d’inciter à cette démarche, le gouvernement a lancé, fin 2018, le « label bas-carbone ». Grâce à ce label, les acteurs des territoires qui innovent pour le climat, pourront quantifier et certifier leurs réductions d’émissions de gaz à effet de serre et les valoriser économiquement. Ce label constitue un cadre méthodologique permettant la mise en œuvre des politiques publiques climatiques, et notamment de la Stratégie Nationale Bas-Carbone. Cet outil n’est que la première étape du processus, il s’agit désormais d’en faciliter l’accès aux acteurs des territoires désireux de contribuer à l’effort collectif.

La Stratégie nationale bas-carbone est la feuille de route de la France pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Elle concerne tous les secteurs d’activité et doit être portée par tous : citoyens, collectivités et entreprises. Elle a pour ambition d’atteindre la neutralité carbone dès 2050 (implique de diviser nos émissions de GES au moins par 6 d’ici 2050, par rapport à 1990), et fixe des orientations pour mettre en œuvre la transition vers une économie bas-carbone. Des budgets carbones seront également instaurés, des plafonds d’émissions à ne pas dépasser par période de 5 ans. Si ces mesures sont réellement mises en œuvre et contrôlées, on peut espérer voir le marché du carbone repartir à la hausse et commencer à devenir un réel facteur de changement.

Comme évoqué ces dernières semaines via nos articles, les secteurs de l’économie ayant un rôle à jouer pour lutter contre le réchauffement climatique sont nombreux :

Cependant, par souci d’efficacité et de coordination de ces actions, il convient de prendre un peu de recul et d’essayer d’adopter une approche plus globale en raisonnant à l’échelle d’un territoire.

Repenser la distance

L’étalement urbain et l’accroissement des choix de mobilité ne font qu’engendrer toujours plus de déplacements. Partout, on constate une augmentation de la résidentialisation périphérique. Même si la durée moyenne des temps de parcours reste globalement identique, les distances parcourues sont de plus en plus grandes. Un quart de la population française travaille à plus de 80 kilomètres de son domicile.

L’amélioration et la densification du réseau des infrastructures encouragent la mobilité pour aller finalement plus loin, plus vite, et plus souvent, pour un plus grand nombre. Cette offre accrue n’apporte cependant qu’un confort temporaire avant une saturation programmée. L’offre entraînant la demande, ces nouvelles infrastructures sont, à leur tour, vouées au même destin.

La mobilité reste un levier incontournable dans une perspective de territoire bas carbone. D’autant que si la diminution des déplacements motorisés permet la réduction des émissions de GES, elle participe aussi à répondre à des préoccupations sanitaires telles que la qualité de l’air ou la promotion de l’activité physique.

Les distances à parcourir entre lieux de résidence, lieux de travail ou lieux de services sont souvent bien trop importantes. Cet éloignement génère des déplacements qui pourraient être évités en proposant une structure urbaine différente. Un modèle de localité qui serait moins sectoriel et plus mixte, tant à l’échelle des communes que des bâtiments eux-mêmes. Cette approche doit être réalisée dès la conception des schémas d’orientation urbaine.

Viser un urbanisme/aménagement « bas carbone » est un objectif qui doit être abordé avec un regard pragmatique global, en incluant une vision stratégique et urbanistique de l’aménagement du territoire et de l’espace public. Outre le travail à mener sur la construction et la consommation des bâtiments, la mise en œuvre de l’urbanisme bas carbone doit aussi intégrer la mise en avant d’une réflexion traitant des interactions entre la mobilité, la composition et l’aménagement d’un territoire.

Dans un modèle bas carbone, la place des transports en commun est essentielle. Il faut limiter fortement les déplacements motorisés individuels, pour favoriser les transports en commun, les véhicules partagés (autonomes ou non), ainsi que les modes actifs. Il n’y a, aujourd’hui, pas d’autres alternatives possibles.

S’appuyer sur le numérique

Pour rappel, 80% des émissions carbone liées aux produits électroniques sont causées par l’extraction et la création des matières premières nécessaires à leur fabrication. Comme il n’existe aucune technologie permettant d’extraire le surplus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à l’échelle de la planète, la seule solution pour en réduire notablement le volume consistera à fabriquer moins de produits, et fabriquer des produits plus durables. Nous n’avons donc pas le choix, demain il nous faudra faire plus et mieux avec moins. Le numérique est plus particulièrement concerné par cette mesure de bon sens, du fait que c’est bien souvent un grand spécialiste de l’obsolescence programmée.

La 5G est une excellente illustration de cette réalité. Après le déploiement de la 4G en 2012, les opérateurs nous proclament désormais que la 4G est has-been, et qu’il faut à tout prix déployer la 5G. Les fréquences utilisées par la 5G sont beaucoup plus élevées que celles de la 4G, ce qui imposera d’installer plus d’antennes émettrices consommant de l’ordre de 30% de plus que leurs homologues 4G. Elle imposera également d’ajouter des antennes et/ou de changer toutes les antennes 4G qui auront donc eu une durée de vie d’au plus huit ans. Et enfin, elle imposera le remplacement de plus d’un milliard de smartphones. De plus, le gigabit (valeur du débit) annoncé pour la 5G ne présente pas de réelle plus-value pour les usages que nous pouvons en faire, et sa faible latence ne présentera pas d’intérêt tant que les véhicules connectés et autonomes ne seront pas devenus la norme et la réalité du quotidien. Consolider la technologie déjà en place et améliorer le taux de couverture aurait probablement eu plus d’effet bénéfique, pour un coût bien moins élevé.

En revanche voici quelques exemples qui en disent long sur les nombreuses alliances possibles entre le numérique et l’optimisation des ressources du territoire :

  • Afin de réduire la pollution sur le territoire, il y a un intérêt à asservir les feux tricolores des carrefours en fonction de la charge de circulation des différentes voies qui y aboutissent, de façon à fluidifier le trafic. Ces feux pourraient être connectés au réseau numérique par le câble électrique qui les distribue. Ils seraient ainsi asservis à des capteurs connectés au réseau par une technologie radio de bas débit et remonteraient en temps réel leur état fonctionnel.
  • Afin d’optimiser le process de relève des poubelles, il y aurait un intérêt à exploiter des poubelles connectées par voie radio de bas débit, de façon à rendre plus efficace et plus économe la collecte des déchet. Ainsi son opérateur en charge pourrait savoir, à l’avance, où se trouvent les poubelles à relever, en connaitre le poids et la nature des déchets. Cela lui permettrait d’utiliser un véhicule au tonnage adapté, d’optimiser ses trajets de relève et d’identifier les usagers les plus producteurs de déchets.
  • Les luminaires du territoire gagneraient à être connectés et asservis à la présence. Ainsi, celui qui les opère serait informé en temps réel de tout dysfonctionnement, et leur éclairage ne serait activé qu’en cas de présence à proximité. Cela permettrait d’en réduire la consommation et la pollution lumineuse qu’ils génèrent. Là encore, il est possible de connecter ces équipements au réseau par le câble électrique qui les alimente, permettant ainsi de réutiliser des produits existants, donc d’abaisser les coûts et d’éviter les émissions de carbone liées à l’installation d’une nouvelle infrastructure tout en mutualisant leur usage pour le support de deux fonctions : l’alimentation électrique et l’échange d’informations.
  • Les espaces verts gagneraient à être équipés de capteurs hygrométriques radio et de mesures de nutriments présents dans le sol, afin d’économiser l’eau et de donner aux plantes uniquement les nutriments qui leur sont nécessaires.
  • Le réseau de distribution d’eau gagnerait à être pourvu de détecteurs de fuites afin d’éviter les 20 à 30 % d’eau perdue par les canalisations, comme il est trop fréquemment constaté.
  • Afin de préserver la santé des usagers du territoire, il serait pertinent de l’équiper de mesureurs radio de qualité de l’air.  Les citoyens ainsi informés peuvent adapter leurs activités en fonction des mesures constatées.
  • L’installation de capteurs radio de présence de véhicule permettrait de gérer plus efficacement le stationnement sur l’espace public. Et l’intégration sur le réseau territorial des systèmes de gestion de parkings privés permettrait d’étendre cette espace à une exploitation publique temporaire.
  • La création d’un Smart Grid (réseau électrique intelligent) au sein d’un quartier permettrait d’étendre l’autoconsommation de l’énergie renouvelable aux bâtiments voisins. Cela permettrait de réduire l’usage d’énergie issue de ressources naturelles non-renouvelables tout en évitant une grosse part des pertes liées aux transports de l’électricité, entre son lieu de production et son lieu de consommation.

Le numérique n’est pas le seul vecteur d’écoresponsabilité et de sobriété énergétique du territoire. Les politiques d’aménagement du territoire et celles des opérateurs qui en exploitent les infrastructures sont également appelées à évoluer.

Une transition « collective » et globale amenant à transformer le territoire

En France, le bâtiment est à l’origine de 23% des émissions de gaz à effet de serre, et de 44% de la consommation d’énergie finale. Bien que le parc existant de bâtiments à rénover et le potentiel d’économie associé restent très importants, et que des incitations économiques existent, le rythme de la rénovation énergétique des bâtiments est trop faible.

Les objectifs de réduction des émissions carbone font d’autant plus sens, et semblent d’autant plus atteignables grâce au périmètre « quartier » : mutualisation des espaces et des énergies produites (production locale d’énergie renouvelable) consommées et récupérées, meilleure efficacité énergétique, et donc, diminution des productions de CO2 en phase d’exploitation, effet d’échelle sur le chantier (déchets, transports).

Massifier la rénovation pour contribuer à l’atteinte des objectifs énergétiques et environnementaux doit également se faire sans perdre de vue le rôle et la place des usagers, et contribuer à l’amélioration de la qualité et des performances. En effet, pour pouvoir mener une rénovation d’un quartier homogène, il faut convaincre un grand nombre d’acteurs (en particulier les occupants/propriétaires), et mieux prendre en compte les blocages ou vecteurs possibles encourageant l’adhésion à l’acte de rénover. Réduire l’empreinte carbone d’un bâtiment tout au long de son cycle d’exploitation, voire même d’un quartier, nécessite que ses habitants fassent évoluer leur mode de vie dans un sens que l’on pourrait qualifier de plus sobre et plus maîtrisé, devant en même temps être acceptable et désirable.

Cela nécessite l’invention de nouveaux usages venant impacter positivement la qualité de vie et compenser les contraintes de la transition. Ces nouveaux usages ouvrent à des déplacements de frontières entre l’individuel et le collectif, à de nouvelles pratiques de l’habitat et de la ville ainsi qu’à de nouvelles formes d’expression du lien social. Ils devront être vécus comme autant de progrès et de bénéfices. Un tel effort de transformation doit être justifié en termes de valeurs, et correspondre à un niveau de qualité de vie désirable car choisi. L’innovation sociale permet de relier définition d’objectifs de qualité de vie, invention de nouveaux modes de vie, et réinvention du bâtiment. Elle se veut un processus d’innovation collective intéressant le technique, l’économique, le social et le culturel, permettant d’engager fortement la transition énergétique en incluant tous ses acteurs, dans un nouveau modèle local, plus court et circulaire, susceptible de créer du sens et de la valeur partagée, replaçant l’humain au centre, à l’échelle individuelle et collective.

Les chapitres s’articulent autour de la santé, de la sécurité et de la sûreté, de la qualité de l’air et de l’eau, de la résilience vis-à-vis des risques, de la qualité et du confort des espaces, de la fonctionnalité des lieux, des conforts hygrométriques, acoustiques et visuels, des services qui facilitent le bien vivre ensemble, des autres services et transports. L’inclusion des parties prenantes (collectivités locales, promoteur, bailleur, habitants) est un élément très important de ce processus qui n’est pas un dispositif de concertation classique. Un tel processus d’innovation sociale comporte un aspect opérationnel mais aussi un aspect éducatif dans la mise en mouvement et en action des parties prenantes, puisqu’il consiste à inviter celles-ci à concrétiser ensemble le lien entre enjeux énergétiques / écologiques appliqués à la construction ou à la rénovation, évolution des comportements et des modes de vie, recherche de nouveaux éléments de qualité de vie ou amélioration de celle-ci.

L’évaluation des conditions de qualité de vie fait apparaître un besoin d’accès à une nourriture locale et plus saine, qui ne peut être fournie que très partiellement par le tissu économique et agricole local dans des conditions financières acceptables. En confrontant ces attentes exprimées et les cibles définies en matière d’empreinte écologique, il apparaît qu’un modèle d’économie circulaire pourrait être mis en œuvre dans le bâtiment en y développant par exemple une fonctionnalité « potager partagé » adossé à un dispositif de recyclage et d’exploitation des déchets sous forme de compost. Cette nouvelle fonctionnalité vient abonder la réduction de l’empreinte écologique globale via l’ouverture d’un circuit de recyclage de certains déchets, et permet également d’améliorer le niveau de vie des habitants.

Conclusion

La trajectoire ambitieuse définie à l’horizon des 30 prochaines années, concernant le bâtiment bas carbone, nécessite de changer d’échelle et de mode opératoire, en élargissant l’approche au quartier et à la ville, en passant d’une logique de somme de choix individuels à celle induisant la montée en puissance de solutions collectives, et en promouvant une véritable dimension d’innovation sociale. L’approche bas carbone ne doit pas se cantonner à des solutions, procédés ou types de matériaux. Il est nécessaire d’agir sur tous les plans : renouvellement urbain, gestion de chantier, déblais, gestion des terres, économie circulaire, formes urbaines, desserte en transports, choix des produits et équipements, place du végétal, performance des bâtiments, mobilités, usages, …

Sources