La méthanisation, l’alimentation durable ou encore la préservation des sols, la bioéconomie, représentent des opportunités pour nos exploitations agricoles et forestières. Elles permettent d’augmenter la compétitivité de nos industries tout en apportant des solutions durables aux défis environnementaux et sociétaux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.
Pour limiter le risque d’un réchauffement de plus de 2 °C, il faut traiter à la fois le carbone fossilisé du système énergétique et le carbone vivant des chaînes alimentaires et de la forêt. En changeant les pratiques agronomiques, on peut augmenter le stockage de carbone dans les sols agricoles, ce qui permet de lutter contre le changement climatique.
C’est ce qu’a démontré l’Inra pour la France dans le premier rapport au monde consacré à ce sujet publié en juin 2019. Si le principe du pollueur-payeur est la base du principe de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES), et qu’il est convenu d’aider à limiter leur création, on peut légitimement penser que toute action qui diminue leur concentration soit encouragée par une rémunération.
En captant du CO2, les agriculteurs rendent un service à l’environnement qui pourrait être ainsi rémunéré, leur permettant d’engendrer de nouvelles sources de revenus et potentiellement de les réconcilier avec une opinion publique de plus en plus acide notamment sur la question des pesticides.
Les puits de carbone, une nouvelle ressource pour les agriculteurs ?
Il est souvent entendu que l’agriculture contribue au changement climatique, en étant responsable de 24% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Mais c’est sans compter l’immense quantité de carbone qui a pu être stockée par les activités agricoles.
On pourrait ainsi imaginer un système où les agriculteurs qui renouvellent chaque année des cultures captant le CO2 et rejetant de l’oxygène, soient rémunérés pour le service qu’ils rendent aux populations en purifiant l’air sur la base de leur bilan carbone : CO2 capté – CO2 émis.
Lancée par la France à l’occasion de la COP21 en 2015, l’initiative « 4 pour 1000 » vise à gérer la transition écologique de l’agriculture à travers la mise en œuvre de pratiques adaptées aux conditions locales, environnementales et économiques (agroécologie, agroforesterie, gestion des paysages…). Elle permettra également d’accommoder l’agriculture aux changements climatiques, avec des sols mieux adaptés. Enfin, un autre objectif sera de stocker le carbone dans la terre pour stopper l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère.
Selon Dominique Arrouays, ingénieur de recherche à l’INRA, théoriquement, c’est jouable. À l’échelle du monde, les stocks piégés par le sol et la biomasse pèsent 2 400 milliards de tonnes, soit 2 à trois fois plus que la masse du carbone atmosphérique. Un chiffre à comparer aux 9,6 milliards de tonnes émises par an par les activités humaines.
Des subventions Européennes pour encourager les agriculteurs à relever le défi
Pour inciter les agriculteurs à prendre part à ces nouveaux défis, l’Europe réoriente des subventions particulières vis-à-vis des agriculteurs justifiant d’un effort pour l’environnement. Les mesures agro-environnementales et l’agriculture biologique sont ainsi encouragées et développées.
L’étude nous apprend qu’il est possible d’atteindre un supplément de stockage de 1,9 pour 1000, pour l’ensemble des surfaces agricoles et forestières. Soit 5,8 millions de tonnes de carbone de plus par an qui rejoindraient les 3,5 milliards de tonnes de carbone que contiennent déjà les sols de l’hexagone. Cela représente 12% des émissions totales françaises, et 40% des émissions du seul secteur agricole. Ce n’est donc pas la solution miracle, mais un excellent outil qui doit être combiné à l’action première de la lutte contre le réchauffement climatique : la diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre par l’abandon des énergies fossiles.
Vers une préservation des surfaces forestières et une meilleur gestion des cultures
Les progrès ne viendront pas des surfaces forestières qui stockent déjà en moyenne 81 tonnes de carbone à l’hectare ; le seul enjeu, c’est de les préserver. C’est en grandes cultures, où le stock actuel est le plus faible, que réside le plus fort potentiel de stockage additionnel (86 % du total).
Tout se joue donc sur les terres cultivées et plus précisément dans les grandes cultures. L’utilisation de désherbants et la récolte de la quasi-totalité de la biomasse produite conduisent à des sols qui s’appauvrissent et qu’on est obligé d’enrichir par des engrais chimiques. Les stocks n’y sont que de 51,6 tonnes à l’hectare.
Sur les 5,8 millions de tonnes qui peuvent être gagnées, près de 5 millions proviennent d’une meilleure gestion de la culture des céréales, du maïs, des oléagineux.
L’Inra a identifié trois bonnes pratiques à développer
- La première consiste à maintenir un couvert végétal toute l’année, et donc, à semer des plantes entre deux cultures pour éviter de laisser le sol à nu. L’enfouissement de ces végétaux restitue en effet au sol le carbone.
- La seconde, c’est l’agroforesterie. La plantation d’alignement d’arbres au sein des parcelles, et de haies en bordure de champs, permet de stocker le carbone dans le bois.
- Enfin, l’allongement de 3 à 5 ans des prairies intermittentes avant retour de la mise en culture est également préconisé. Pour les vignobles, l’enherbement des inter-rangs améliore le bilan carbone.
Quel intérêt pour les agriculteurs ? Certains bénéfices ne sont pas immédiatement rémunérateurs. L’amélioration de la fertilité, une meilleure rétention de l’eau, une biodiversité favorisée ne sont pas directement profitables.
Le financement de mesures permettant de lutter contre le changement climatique pourrait faire partie de la nouvelle PAC avec le double bénéfice d’améliorer les revenus des agriculteurs tout en absorbant une partie plus importante de gaz à effet de serre.
… ou une fausse bonne idée ?
D’après le « 4 pour 1000 », il suffirait d’augmenter la teneur en carbone dans les sols de 0,4 % par an pour stopper l’augmentation annuelle de CO2 dans l’atmosphère ?
Philippe Mauguin, PDG de l’Inra, avertit que ce travail implique qu’il n’y ait plus du tout d’artificialisation des sols par l’extension urbaine et les infrastructures, ni de retournement de prairies naturelles pour les cultures. Deux pratiques nocives pour le stockage de carbone qui se poursuivent partout sur le territoire.
Une autre inquiétude des chercheurs concerne la réaction des pergélisols et des tourbières de l’hémisphère nord, où des quantités énormes de carbone sont piégées. Le réchauffement va remettre en activité ces sols gelés de la Sibérie. Le risque de minéralisation est une conséquence logique surtout si la Russie décide de cultiver ces sols
Sous les tropiques, le risque réside dans un appauvrissement tel des sols, que l’érosion s’accélère laissant la roche mère à nue, transformant des régions entières en désert.
Un travail est donc à faire pour améliorer le stockage carbone à l’échelle mondiale, mais ses actions ne porteront leurs fruits qu’à condition que les puits existants perdurent.
En encourageant la séquestration du carbone dans les sols, les États céderaient à la facilité d’une solution qui nous évite de changer nos modes de vie, « plutôt que de s’attaquer à une remise en cause profonde des systèmes alimentaires fortement émetteurs en gaz à effet de serre », déplorait l’ONG CCFD-Terre Solidaire dans son rapport du 1er juin 2018.
Selon l’organisation, si on veut réduire les émissions agricoles directes, il faut laisser le CO2 de côté pour se concentrer sur les grandes quantités de méthane et de protoxyde d’azote relâchés dans l’atmosphère par le secteur agricole, et qui constituent la majorité de ses émissions.
Ces gaz au pouvoir bien plus réchauffant que le CO2 (jusqu’à 298 fois plus pour le protoxyde d’azote), sont dégagés par les fertilisants de synthèse et surtout par l’élevage, à travers les éructations et flatulences des bovins. « La production de viande à elle seule génère aujourd’hui plus d’émissions de GES que l’ensemble du secteur des transports dans le monde entier », rappelle le rapport. Et de poursuivre : « Les vingt plus grandes entreprises de viande et de produits laitiers ont émis en 2016 plus de gaz à effet de serre que toute l’Allemagne, pourtant de loin le plus gros pollueur d’Europe. Si ces entreprises étaient un pays, elles seraient le 7e émetteur de gaz à effet de serre. »
Conclusion
Grâce aux changements de pratiques agronomiques, on peut espérer poursuivre ce stockage du carbone atmosphérique dans le sol via les plantes durant quelques décennies, jusqu’à un plafond. Une fois ce nouvel équilibre atteint, la baisse des GES ne pourra se faire que par une réduction des émissions.
Une impulsion forte de la part des pouvoirs publics, notamment de l’Europe, faciliterait le déploiement d’instruments économiques dopant la transformation bas carbone de l’agriculture. Ceux qui récompensent les bonnes pratiques. Mais aussi ceux qui visent à internaliser le coût des dommages environnementaux comme la taxe carbone sur la consommation d’énergie fossile dont l’agriculture est exemptée.
La mise en place d’informations sur la traçabilité des produits bas carbone et leurs qualités nutritionnelles, serait également un levier important pour améliorer leur valorisation tout en répondant aux nouvelles attentes des consommateurs.
Faut-il enfin rappeler que la transformation bas carbone de l’agriculture n’a aucune chance de s’opérer sans une adhésion forte des agriculteurs ?
Comme dans le secteur énergétique, cette adhésion n’est pas spontanée, car la marche vers la neutralité carbone va impliquer des restructurations et des remises en question.
Mais de même que les producteurs d’énergie n’ont guère d’avenir s’ils ne se préparent pas à l’après-fossile, les producteurs agricoles s’enfermeraient dans une impasse s’ils entraient à reculons dans la transition bas carbone.
La captation de carbone semble être un outil intéressant à combiner avec des mesures de diminutions, permettant des débouchées non négligeables pour les agriculteurs. Néanmoins, ne perdons pas de vue que le meilleur carbone est celui qu’on ne produit pas.
Sources :
- Et si la captation de CO2 par les cultures était rémunérée ?
- La séquestration du carbone dans les sols, une fausse solution miracle
- La neutralité carbone ? Un objectif hors d’atteinte sans implication forte de l’agriculture
- L’agriculture peut aider à stocker davantage de CO2 afin d’atteindre la neutralité carbone
- Changement climatique : les sols agricoles, de véritables pompes à carbone